Dr Nadia DRISS : "On peut avoir le virus sans avoir des symptômes francs "
La Tunisie a mis en place une stratégie de cohabitation avec la pandémie qui protège les tunisiens sans nuire à l’activité économique.
Un mois après la réouverture des frontières, le nombre des personnes contaminées a décuplé et le pays a enregistré le premier décès depuis plusieurs semaines.
Au 5 octobre, le nombre total de cas déclarés est de 22230, dont 5032 rétablis, 16877 cas actifs, comprenant 347 hospitalisés, dont 99 en soins intensifs et 41 sous respirateur artificiel dans un état critique.
Le nombre de décès à ce jour est de : 321.
A cet effet, Dr Nadia DRISS, immunologue et professeure universitaire à la Faculté de médecine Ibn El Jazzar de Sousse accorde une interview à la RLF afin d’échanger sur la situation sanitaire en Tunisie et les mesures de santé publique.
Entretien
Est ce que la Tunisie s’est bien préparée pour anticiper le retour du COVID-19 ?
Bonjour, en réponse à cette question pertinente, malheureusement on n’a pas remarqué d’amélioration des conditions de travail dans les hôpitaux tunisiens. Vous pouvez visiter les centres hospitalo-universitaires et juger par vous-mêmes.
Le personnel médical et para médical assurent parfois des heures supplémentaires de travail et on ne leur fournit pas assez de matériels de protection.
Il s’agit d’une population à haut risque d’infection. S’ils sont infectés, tout en étant asymptomatique, ils peuvent élargir le cercle de contagion. Leurs collègues ainsi que leurs proches peuvent ainsi attraper le virus en les côtoyant.
Vous remarquez la hausse du nombre de personnel médical et para médical touché par la 2ème vague de cette pandémie et c’est alarmant.
La situation sera rapidement difficile à gérer, si l’armée blanche est touchée.
Plusieurs plans d’action devraient être prêts surtout avec le changement climatique et la période très proche de la grippe saisonnière.
Certains collègues trouvent une difficulté à accéder à leur box de consultation externe vue l’absence de séparation entre les points d’accès des soignants et celui des patients.
Les circuits COVID se sont arrêtés temporairement avec la baisse du nombre de cas quelques mois après la 1ère vague.
La courbe rapportant les nouveaux cas positifs ne cesse de croître et nous ne sommes qu’au début. Les patients COVID-19 positifs ne sont pas hospitalisés dans des services adaptés ce qui augmentent le risque de contracter le virus par d’autres malades hospitalisés pour décompensation de leurs pathologies chroniques.
On aurait dû se préparer surtout avec l’ouverture des frontières et exiger le port des masques à l’échelle communautaire. Ceci n’a pas été observé, pire, les gens se rendaient aux fêtes de mariages, d’anniversaire, et autres évènements publics sans respecter la distanciation et sans mesures de protection.
Comment expliquez-vous la lenteur dans l’accès aux tests ?
Au début, le nombre de laboratoires qui pratiquaient les tests PCR pour la détection du SARS-CoV-2 par prélèvement nasal était limité.
Actuellement, plusieurs établissements assurent cette activité, et certains laboratoires privés d’analyse biologique ont été inclus.
Le nombre de ces tests PCR réalisés par jour a beaucoup augmenté, cependant, le nombre de personnels affectés dans les laboratoires destinés à cette activité reste réduit.
Ceci a poussé le ministère de la santé à recruter de nouveaux techniciens supérieurs en biologie dans certains établissements.
Actuellement, les réactifs ne sont plus aussi disponibles et accessibles qu’au départ.
Ceci devrait nous inciter à enquêter dans l’environnement proche des sujets COVID-19 positifs et estimer le risque de contamination avant de réaliser des PCR temps réel pour la détection du virus.
Peut-on être asymptomatique et avoir le COVID-19 ?
On peut avoir le virus sans avoir des symptômes francs à savoir de la fièvre, la toux, l’éternuement …
En effet, la réponse à l’infection par le SARS-CoV-2 dépend des personnes atteintes.
Certains sujets peuvent avoir un système immunitaire capable de maîtriser le virus et de le neutraliser. Ces sujets sont appelés ‘porteurs sains’ ; ils sont capables de propager le virus mais n’ont pas de manifestations cliniques.
L’automne arrive avec son lot d’incertitudes sanitaires et une importante inquiétude cette année puisque la deuxième vague flambe en même temps que celle de la grippe saisonnière avec des symptômes très proches, d’où la confusion entre les deux virus.
Pourriez-vous nous rappelez les points communs et les différences ?
La COVID-19 et la grippe saisonnière se rapprochent dans l’expression clinique ce qui peut induire en erreur le diagnostic.
Les différences ne sont pas faciles à déceler au début de l’apparition des signes, voire au cours de l’évolution de la maladie. Les tests diagnostiques sont indispensables pour différencier entre les deux pathologies.
Ceci doit inciter les gens à se faire vacciner contre la grippe saisonnière. Plus particulièrement, les sujets âgés, les femmes enceintes et les patients suivis pour pathologies chroniques.
Quand faire le test ?
Les tests diagnostiques sont faits à l’apparition de signes cliniques ou pour les sujets à risque de formes graves de la maladie étant en contact direct avec un sujet COVID-19 positif.
Comment convaincre une personne anti-masque d’en porter un ?
Les mesures d’hygiène et de protection par masque dites de barrière sont les meilleurs moyens qui ont prouvé leur efficacité pour protéger sa propre personne, mais aussi sa famille et ses collègues de travail.
Prenons l’exemple de deux personnes, l’une saine et l’autre porteuse du virus.
Si la première personne porte le masque le risque de contamination est de 70%.
Si la deuxième personne porte un masque, ceci réduit le risque de contagion à 5%.
Si ces deux personnes portent le masque on estime ce risque à 1.5%.
Les gens sont appelés à respecter ces mesures surtout en l’absence de traitement adéquat et de vaccin.
Il faut tout simplement se considérer porteur du virus et que tous les autres le sont également.
Nous devons être responsables envers la communauté et penser à protéger tout le monde.
Propos recueillis par Ghofrane GMATI – RLF Média
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