Ghassen AYARI:"La question de la diversité et du pluralisme au sein de la société
 tunisienne n’a pas été résolue à ce jour "



Sept années se sont écoulées depuis la promulgation de la constitution du 27 janvier 2014 qui dispose clairement en vertu de son article 6 que : « L’État garantit la liberté de conscience et de croyance et le libre exercice des cultes ».

Pourtant, à ce jour, les pratiques officielles et les comportements sociaux ne vont pas de pair avec cette disposition constitutionnelle fondamentale.

Les violations de la liberté de conscience continuent et s’amplifient que ce soient par les autorités publiques, les meneurs religieux ou la population.

Dans ce contexte, la RLF a eu le plaisir d’interviewer le chargé des relations publiques et du partenariat de l’association ATTALAKI pour la liberté et l’égalité

M Ghassen AYARI.

Entretien:





Pourriez-vous vous présenter et nous présenter l’association ATTALAKI pour la liberté et l’égalité ?

Je suis un jeune tunisien doté d’une License en Cinéma et Audiovisuelle de l’Institut supérieur des Arts Multimédias de la Manouba et en train d’achever un Master professionnel en Cinéma et Audiovisuel cette année dans le même établissement académique.

J’ai tenu la charge des relations avec les organisations non gouvernementales dans une association tunisienne depuis 2018 et depuis le mois de février 2020, j’ai été nommé chargé des relations publiques et du partenariat de l’organisation non-gouvernementale ATTALAKI pour la liberté et l’égalité.

J’ai également entamé quelques expériences avec des organismes internationaux, dont les plus importants étaient avec le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme à Genève et à Strasbourg auprès du Conseil de l’Europe.

L’association ATTALAKI pour la liberté et l’égalité est une organisation non gouvernementale fondée en 2016 à Tunis, dont la mission se décline autour des axes de travail suivants :

La citoyenneté, le dialogue interreligieux et la mise en valeur de la richesse et du pluralisme religieux en Tunisie, le suivi constant de la situation des minorités religieuses en Tunisie et le maintien et l’évolution de la notion de la liberté de conscience, de religion et de pensée dans le contexte Tunisien.

 

 À l’occasion du cinquième anniversaire de la création de l’association, vous nous avez fait part de votre rapport annuel sur la liberté religieuse, pourriez-vous nous en parler davantage ?

Le vendredi 29 janvier 2021, l’association ATTALAKI pour la liberté et l’égalité a organisé à Tunis une conférence de presse au siège du Syndicat National des Journalistes afin d’annoncer la publication officielle de son rapport annuel autour de la thématique de la liberté de religion en Tunisie pour l’année 2020.

Ce rapport a été rédigé par la Commission pour la liberté religieuse, étant un organisme qui fait partie de l’association et composé par des professeurs universitaires de droit constitutionnel, droit public ainsi qu’une sociologue.

Ce rapport est considéré comme le premier en Tunisie en termes de forme et de contenu, d’autant plus qu’il aborde la question des minorités religieuses avec une grande précision, et met en garde l’opinion publique de la situation actuelle de ces groupes vulnérables.

Bien que 10 ans se soient écoulés depuis la révolution populaire du 14 janvier 2011, la question de la diversité et du pluralisme au sein de la société tunisienne n’a pas été résolue à ce jour, en plus de la montée du discours haineux et du nombre de cas enregistrés de violences et de violations à l’égard des droits des citoyens tunisiens fondées sur leurs appartenances religieuses.

ATTALAKI continue la collaboration avec l’État Tunisien et les organisations internationales afin de souligner l’importance de la diversité religieuse en Tunisie et le dialogue qui doit avoir lieu afin de rendre de cette diversité et de ce pluralisme une cause de richesse pour la société tunisienne.

Dans ce cadre, le président de l’association a été invité par le ministre des Affaires religieuses M Ahmed ADHOUM afin de discuter la situation des minorités religieuses en Tunisie et le rôle que doit avoir le ministère dans ce domaine.

Il convient de noter que ce rapport a été rédigé en langue arabe et anglaise et sera rendu public dans la période à venir.

 

 Quelles sont les discriminations et les intolérances fondées sur la religion que vous avez recensées ?

En Tunisie on se retrouve dans une réalité de plus en plus marquée par les défis en ce qui concerne la liberté religieuse en général, notamment que l’État poursuit sa politique d’indifférence devant une question fondamentale pour un pays qui se dit en transition démocratique envers un État de droit marqué par les valeurs universelles, tel que le prévoit le préambule de la constitution de la Deuxième République.

L’islam en Tunisie est considéré comme la religion officielle.

On estime que la très large majorité de la population tunisienne se considère en effet comme musulmane :97% de la population, dont la grande partie adhère à la pensée de Maliki-Ash’ari avec la présence d’autres sectes islamiques comme le Chiisme,

Ibadisme, Hanafite, Hanbalite, Ahmadiyya et Soufis, sans oublier les mouvements islamiques radicaux tels que le Djihadisme avec ses différents courants de pensée théologique.

Quant aux autres religions, il y a 1 500 juifs de Tunisie, dont la plupart vivent sur l’île de Djerba, le grand Tunis et les régions côtières (notamment Sousse).

Environ 5 000 chrétiens tunisiens sont répartis sur tout le territoire tunisien, dont la majorité d’entre eux sont sous l’obligation d’accomplir leur cérémonie communautaire (rassemblements de prières) à domicile (églises à domicile) et cela et dû à l’absence des églises notamment dans les régions internes du pays ; cette problématique touche la communauté protestante tunisienne qui représente la majorité écrasante des chrétiens tunisiens.

On compte aussi 30 000 chrétiens étrangers résidant en Tunisie dont la majorité appartiennent à l’Église Catholique Romaine.

À cela s’ajoute une centaine d’adhérents de la foi Bahaïe ; cette communauté est dans la recherche de sa reconnaissance et son droit de s’organiser légalement depuis des années dans un cadre associatif en vue de mettre en valeur sa culture, ses valeurs et ses croyances.

Sans passer outre l’existence d’un grand nombre d’athées et de non-croyants, leur nombre est estimé à des milliers dont la majorité d’entre eux sont des jeunes.

Il est à souligner que ces chiffres relatifs aux minorités religieuses ne sont basés sur aucune statistique ou étude officielle faite par l’État Tunisien, par ailleurs ces chiffres se basent sur les rapports annuels des organismes internationaux.

Ces nombres augmentent et changent d’une année à une autre, et le « maping religieux en Tunisie » voit la naissance des nouvelles générations au sein des communautés religieuses minoritaires.

Par conséquent, il est aussi fondamental de repenser la liberté de conscience en Tunisie aujourd’hui.

 

Est-ce que la liberté de culte est vraiment garantie en Tunisie et comment est-ce que l’État tunisien encadre ses minorités religieuses ? 

En se basant sur les données collectées et analysées émises principalement par les autorités officielles, les victimes de violations, les médias, les réseaux sociaux et les organisations de la société civile, nous pouvons conclure l’existence d’un certain nombre de violations qui ont eu lieu, commises par les autorités publiques et des individus.

Mais pas que, certains politiciens et personnalités religieuses bien connues ont explicitement manifesté leur totale hostilité à l’encontre des libertés individuelles, ce qui a soulevé plusieurs questions sur la réalité des minorités religieuses en particulier, la liberté religieuse en général comme un droit reconnu et garanti par la constitution de 2014.

C’est pour cette raison d’ailleurs, que les parties intéressées par la question de la liberté de conscience et de religion estiment que la politique de l’État favorise l’exclusion et les formes de discrimination entre les citoyens sur la base de leur religion ou de leurs convictions.

 

Aujourd’hui en Tunisie, les minorités religieuses sont-elles contraintes de faire profil bas ?

En fait oui, les stéréotypes sociétaux sont imprégnés par le discours de l’extrême droite, qui présente toujours les minorités religieuses comme danger qui menace le modèle social et sociétal tunisien, toujours avec l’objectif de continuer à faire croire à l’opinion publique interne et externe que la société tunisienne est homogène.

Cette crise d’identité nationale résulte l’émigration des tunisiens non musulmans en quête de paix et de dignité.

Par conséquent, l’absence d’un cadre juridique qui promeut les droits sociaux, politiques et économiques des minorités religieuses et les protège des attaques perpétrées à leur égard, conduit nécessairement à la prolifération des discours de haine et d’extrémisme, et ainsi le manque de paix et de sécurité sociale.

 

Quelles sont vos priorités, vos objectifs à court et à long terme ?

L’organisation ATTALAKI œuvre étroitement avec ses partenaires nationaux et internationaux pour le renforcement de la notion de la citoyenneté dans la réalité tunisienne à travers l’acceptation de la diversité et du pluralisme, et cela à travers le suivi qui se réalise avec les membres des différentes communautés religieuses en Tunisie, la sensibilisation de la société à la question de la diversité et du rejet du discours haineux, les sessions de formation, des tables rondes et des conférences qu’on organise pour aborder les différentes thématiques liées à la liberté de conscience et de religion  avec différents types de participants, tels que les dirigeants religieux , les politiciens, les représentants des organisations nationales, etc.

ATTALAKI collabore aussi avec les agences des Nations Unies en Tunisie et à Genève afin de sensibiliser la communauté internationale et attirer son attention sur la situation dégradante des minorités religieuses en Tunisie.

C’est dans ce contexte que l’association a fait une intervention en marge de la 12ème session du forum des Nations Unies relatif aux questions liées aux minorités sous le slogan « Discours de haine, médias sociaux et minorités ».

L’intervention de ATTALAKI a porté principalement sur l’extrémisme religieux et le discours de haine au sein du parlement tunisien qui a visé, et à plusieurs reprises les minorités religieuses en Tunisie, jusqu’à la justification des actes terroristes en France dernièrement par l’un des députés.

 

Propos recueillis par Ghofrane GMATI – RLF Média

 

 

 

 

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